Festivals, intermittents et enveloppes de billets
Par
Entrepreneuse du spectacle vivant
Fini l’été, ses festivals et leur lots de dérives et petits arrangements entre amis…
ll y a en France des lois, qui s’imposent aux artistes musiciens et à leurs employeurs, non pas pour les contraindre mais pour les protéger. Il est une chose non négociable, dans notre pays : pour monter sur scène ou enregistrer en studio en dehors d’un cadre d’emploi permanent, un musicien professionnel, qu’il soit enseignant à temps plein, artiste salarié permanent d’une institution, ou musicien indépendant souhaitant accéder à l’intermittence du spectacle, doit être rémunéré par un cachet. C’est l’unique mode de rémunération légal pour l’embauche des artistes en contrat à durée déterminée - dit contrat à durée déterminée d’usage. Au-delà de la rémunération, ce cachet permettra à l’artiste qui le souhaite de comptabiliser ses fameuses 507 heures ou 42 cachets, pour prétendre un jour au statut d’intermittent du spectacle. Un artiste professionnel qui ne souhaiterait pas devenir intermittent, devra malgré tout être rémunéré avec un cachet, c’est la loi ! Se faire payer via une auto-entreprise, sur facture, n’est pas une option, c’est tout simplement illégal ! Mais que dire de l’enveloppe de billets ou de la caisse de vin ?! Voilà une coutume parfaitement assumée par nombre de mes collègues musiciens et musiciennes, le plus souvent en poste et payés mensuellement de façon confortable, voire très confortable ! Lorsqu’il m’arrive d'aborder le sujet, la plupart semblent sincèrement ne pas comprendre ma colère. Je veux donc les aider à prendre conscience qu’ils détruisent l’écosystème musical français.
Pour toute structure qui respecte les lois, qui applique les règles et les minimums légaux destinés à protéger les artistes, le devis pour une prestation monte vite. Il comprend les salaires et les cotisations sociales pour chacun des artistes programmés. Mais il comprend aussi les frais de gestion, de coordination qui permettent d’alimenter le salaire de l’administrateur ou de l’administratrice qui prend soin d’eux. Il couvre également les frais de gestion de paie, parce que oui, quand on salarie des artistes on doit s’équiper de logiciels spécifiques onéreux, pour être à jour des réglementations et générer les fameux cachets cités plus haut. Il est aussi possible de déléguer la paie à une structure spécialisée, mais on devra elle aussi la rémunérer et donc la facturer… Vous l’aurez compris, à salaire net égal dans la poche de l’artiste, entre une prestation déclarée légalement et l’autre bricolée sous forme de défraiements, la différence peut aller du simple au double, voir plus ! Je suis musicienne et entrepreneuse du spectacle vivant. Combien de fois je me suis vue refuser un devis avec en commentaire « Monsieur Dupont de l’orchestre National X me demande deux fois moins que vous. » Avec à peine sous-entendu, « vous qui n’êtes pas de l’orchestre National X, pour qui vous prenez-vous ?! » Cela se nomme tout simplement de la concurrence déloyale !
Combien d’artistes ne sont ni des stars ni des salariés d’institutions de référence mais peuvent pourtant prétendre à monter sur scène et proposer des prestations de grande qualité ? Nous sommes nombreux, et avec de tels agissements, vous jalonnez nos vies professionnelles de difficultés supplémentaires là où il y en a déjà tant !
Je m’exprime de plus en plus régulièrement devant des étudiants, futurs professionnels, et c’est bien entendu un sujet que j’aborde avec eux. Très récemment un jeune homme me demandait comment résister à la tentation de l’enveloppe quand il ne savait plus comment remplir son frigo ? Je voudrais que chacun de vous, chers collègues qui avez ce type de pratique, pensiez à ce jeune homme ! C’est pour lui que vous devez refuser de travailler ainsi ! C’est à vous de faire preuve de pédagogie auprès des programmateurs, vous qui êtes reconnus et respectés grâce à votre talent mais aussi grâce à l’institution que vous représentez. C’est votre engagement qui peut faire qu’on ne propose plus jamais à un jeune musicien 90 euros en liquide pour le faire monter sur scène. Car la loi prévoit qu’au minimum lui soit assuré un salaire de 154 € brut (ce qui bien sûr ne prend déjà pas en charge le moindre travail de répétition). Ça n’est peut-être qu’à peine 20 euros de plus dans sa poche, mais ça lui permettra de cotiser à toutes les caisses sociales et d’accéder progressivement à l’intermittence et peut-être un jour de payer des impôts ! Cela s’appelle la solidarité !
Alors que dire des enseignants qui font monter leurs élèves à leurs côtés sur scène dans un cadre professionnel, leur imposant et banalisant ainsi depuis le plus jeune âge ce type de pratique ? Ils sont irresponsables ! Nul n’est censé ignorer la loi, ces obligations légales devraient d’abord et avant tout être transmises par nos « maîtres » dans les conservatoires.
Nous avons tous le désir de jouer certaines pièces uniques du répertoire, de monter les marches de telle ou telle scène… mais doit-on assouvir ces désirs à n’importe quel prix ?! Le festival de vos rêves n’a pas les moyens de vous rémunérer à la hauteur de vos attentes ? Proposez un quatuor plutôt qu’un sextuor ! Il n’a toujours pas les moyens ? Pourquoi organise-t-il donc un festival avec des artistes professionnels ? À vous de dire « Stop ! Structure-toi, vas chercher des subventions et du mécénat et rappelle-moi quand tu auras les moyens de tes ambitions ! » Être organisateur de concerts ne s’improvise pas, c’est un métier complexe jalonné de règles et d’obligations qui encore une fois sont là pour nous protéger et respecter nos droits !
À la lecture de ces lignes, si vous ne changez pas vos pratiques, assumez que votre fonctionnement n’est rien d’autre qu’égoïste. Aucun plaisir, aucune raison artistique ne justifie d’enfreindre ces lois qui protègent notre filière.